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Œuvres spoliées : adoption d’une loi pour permettre la restitution de plusieurs œuvres aux ayants droit de victimes de persécutions antisémites

Communiqués | 27 janvier 2022

Rosier sous les arbres, Gustav Klimt, c.1905 (domaine public, via Wikimedia Commons).

Mardi 25 janvier, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité en première lecture le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, en présence de plusieurs des ayants droit, conviées dans les tribunes par la rapporteure du texte, Fabienne COLBOC.

Ce texte autorise la sortie des collections publiques de quinze œuvres d’art volées ou vendues sous la contrainte en France ou en Europe entre 1933 et 1945, acquises par l’État ou les collectivités territoriales après 1945 sans que leur provenance ne soit alors connue.

« Si ces œuvres ont chacune un parcours singulier et complexe, toutes ont en commun de témoigner de destins et de vies brisées par les persécutions antisémites, entre 1933 et 1945, en France et en Europe, » rappelle Bruno STUDER, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation.

Parmi les quatorze œuvres concernées par le projet de loi initial – deux tableaux, onze dessins et une cire – figure notamment Rosiers sous les arbres de Gustav KLIMT, le seul tableau du peintre autrichien dans les collections publiques françaises. Lors de l’examen du texte en commission, une quinzième œuvre, le tableau Le Père de Marc CHAGALL, a été ajoutée à cette liste par voie d’amendement.

Le passage par une loi s’impose ici en raison du principe d’inaliénabilité des collections publiques, au fondement de notre code du patrimoine. Il s’agit donc d’une loi d’exception, voire exceptionnelle, puisque ce texte est le premier à autoriser la restitution d’œuvres d’art spoliées aux ayants droit de leurs propriétaires, victimes de persécutions antisémites.

Ce texte est l’aboutissement d’une recherche de provenance et d’un travail de documentation long et méticuleux, effectué par la commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) et par les services du ministère de la Culture, qu’il convient de saluer.

Depuis 2017, une nouvelle impulsion politique souhaitée par le président de la République, Emmanuel MACRON, et mise en œuvre avec résolution par le Premier ministre, Jean CASTEX, par son prédécesseur, Édouard PHILIPPE, et par la ministre la Culture, Roselyne BACHELOT, a été donnée à la recherche en vue de la restitution des œuvres spoliées. L’extension des pouvoirs de la CIVS en 2018 et la création en 2019, au sein du ministère de la Culture, d’une mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, résultent de cette volonté politique.

L’examen de ce projet de loi à l’Assemblée nationale constitue, en tant que tel, un moment fort de reconnaissance par l’État du destin tragique des propriétaires de ces œuvres et de sa responsabilité.

Lire le communiqué de presse au format PDF.

Discours de Bruno STUDER en discussion générale

Seul le prononcé fait foi.

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Madame la rapporteure,

Mes chers collègues,

Nous examinons aujourd’hui une loi d’exception, voire exceptionnelle, puisque ce texte est le premier à autoriser la restitution d’œuvres d’art spoliées aux ayants droit de leurs propriétaires, victimes de persécutions antisémites.

Je ne reviendrais pas sur le principe d’inaliénabilité qui impose le recours à la loi pour sortir les œuvres des collections publiques afin de pouvoir les restituer à leur légitime propriétaire : la ministre et la rapporteure l’ont parfaitement expliqué.

En revanche, je veux souligner combien ce texte est l’aboutissement d’une recherche de provenance longue et méticuleuse, effectuée par la commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, la CIVS, et par les services du ministère de la Culture, que je tiens ici à féliciter.

À la lecture de l’étude d’impact, on ne peut qu’être frappé par la singularité et la complexité du parcours de ces œuvres. Toutes, néanmoins, ont en commun de témoigner de destins et de vies brisées par les persécutions antisémites, entre 1933 et 1945, en France et en Europe.

L’essentiel des restitutions des œuvres pillées par l’occupant nazi est intervenu dans l’immédiat après-guerre par la commission de récupération artistique, grâce notamment à « l’inventaire contradictoire » établi en secret par Rose VALLAND, attachée de conservation au musée du Jeu de Paume. Le travail de restitution fut délaissé après cet effort initial, laissant encore quelque 2 000 œuvres en dépôt dans les musées nationaux : ce sont les fameuses œuvres MNR, pour « Musées Nationaux Récupération », dont il n’est pas question ici.

Il fallut attendre cinquante ans pour que la France accepte de rouvrir ce chapitre et de regarder son histoire en face. Le discours de Jacques CHIRAC de 1995, qui reconnaît la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France, ouvre la voie à cette introspection. La mission confiée à Jean MATTÉOLI en 1997, puis l’année suivante la création par le Premier ministre Lionel JOSPIN de la CIVS, réaffirment l’actualité du processus de restitution, qualifié par le Premier ministre Alain JUPPÉ de « devoir national ».

Malgré l’important travail effectué par la CIVS dans les 20 premières années de son existence, la politique française en matière de restitution des œuvres spoliées a fait l’objet de critiques, exprimées notamment dans deux rapports d’information, du Sénat en 2012 et de l’Assemblée nationale en 2014.[1]

C’est en effet « un domaine dans lequel nous devons faire mieux », comme l’a réaffirmé le Premier ministre Édouard PHILIPPE lors de la commémoration de la Rafle du Vel’ d’Hiv en 2018. L’extension des pouvoirs de la CIVS en 2018 et la création en 2019, au sein du ministère de la Culture, d’une mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, participent de cette démarche. Le texte que nous examinons aujourd’hui est également le résultat de cette politique volontariste et de la détermination du Premier ministre Jean CASTEX et de la ministre de la Culture, Roselyne BACHELOT, à le voir aboutir. Mais l’on ne peut pas s’en contenter.

Si, pendant longtemps, la question de la provenance n’a pas été centrale, elle s’impose aujourd’hui comme une nouvelle exigence : la France s’y est d’ailleurs engagée lors de la conférence de Washington en 1998. Depuis 2013, l’État recherche de manière proactive les ayants droit des propriétaires d’œuvres MNR, et depuis 2020, les recherches de provenance des œuvres acquises entre 1933 et 1945 se systématisent progressivement. Mais nous devons encore aller plus loin pour étendre cette démarche à l’ensemble des collections publiques et ne plus se limiter aux seules œuvres acquises pendant l’Occupation.

Nous devons également faciliter et stimuler la recherche sur les collections muséales au sein des musées, mais aussi par des chercheurs extérieurs. Au-delà de l’investissement de la CIVS et du ministère de la Culture, je tiens à saluer le travail des historiens, notamment des historiens de l’art, pour leurs contributions à notre connaissance de la période.[2] Il y a encore beaucoup à faire, notamment concernant les catalogues de ventes aux enchères, dont l’accès public doit être facilité.

Il s’agit du premier texte de ce type à l’Assemblée nationale et, déjà, nous nous interrogeons sur l’opportunité d’une loi-cadre pour la restitution des œuvres spoliées durant la période nazie… En effet, de l’aveu des spécialistes, le nombre d’œuvres concernées dans les collections publiques est amené à se multiplier dans les années qui viennent.

Je comprends l’intérêt qu’il y aurait à définir une procédure administrative générale permettant la sortie des objets concernés des collections publiques, mais au regard de la diversité de parcours des œuvres, je ne suis pas certain qu’une loi-cadre permette d’appréhender toutes les situations. Surtout, cela effacerait la solennité d’un vote par le Parlement qui constitue, en tant que tel, un moment fort de reconnaissance par l’État du destin tragique des propriétaires de ces œuvres et de sa responsabilité.

Et s’il l’on craint que l’encombrement de l’ordre du jour n’interdise l’examen d’une ou deux lois de restitution par an, je rappellerai qu’il existe une procédure de législation en commission qui trouverait parfaitement à s’appliquer à des textes aussi consensuels, sans pour autant écarter tout débat en séance publique.

Enfin, je conclurai en rappelant les propos de l’historien Émile TERROINE, acteur central du processus de restitution à la Libération, pour qui « La restitution des biens spoliés est une œuvre de justice et d’humanité dont la signification morale et politique dépasse de beaucoup les valeurs matérielles. Elle doit être aux yeux de la France et du monde une des grandes manifestations tangibles du rétablissement du droit et du rétablissement de la légalité républicaine. » Je pense que nous nous retrouvons tous dans l’actualité de cette définition.


[1] Voir les travaux de la mission d’information sur les œuvres spoliées, conduite par la sénatrice Corinne BOUCHOUX en 2012, et le rapport d’information des députés Isabelle ATTARD, Michel HERBILLON, Michel PIRON et Marcel ROGEMONT sur la gestion des réserves et des dépôts des musées en 2014.

[2] On mentionnera tout particulièrement les travaux de l’historienne Emmanuelle POLACK et à son livre, Le marché de l’art sous l’occupation, ou encore au Répertoire des acteurs du marché de l’art sous l’Occupation sous la direction de l’historienne de l’art Ines ROTERMUND-REYNARD, récemment mis en ligne par l’INHA.

La presse en parle

DateAuteurJournalArticle
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